Une délégation CFDT conduite par Laurent Berger a été reçue le 16 avril par Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, pour un premier tour de chauffe. La concertation s’engage.
La réforme des retraites allait-elle devenir l’arlésienne du gouvernement ? Alors qu’un discours fondateur du président de la République était annoncé depuis plusieurs mois, ce rendez-vous censé lancer les affaires ne cessait d’être repoussé pour cause d’actualité brûlante. Ce contexte d’incertitude semble aujourd’hui appartenir au passé. Si Emmanuel Macron n’a pas prononcé son fameux discours, le haut-commissaire chargé de la réforme, Jean-Paul Delevoye, a manifestement eu le feu vert de l’exécutif afin d’entamer les discussions. Pendant les deux dernières semaines d’avril, l’ensemble des organisations syndicales et patronales seront reçues pour une première phase de rencontres officielles (des rencontres non officielles ont bien entendu eu lieu depuis sa nomination).
La nécessité de mieux définir les objectifs de la réforme
En vue de préparer ces entretiens, le haut-commissariat a fait parvenir la semaine dernière aux différentes organisations un document d’une trentaine de pages censé servir de base aux discussions. Petite déception, ce document dresse un tableau très dur du système actuel afin de légitimer la nécessité de cette réforme, mais n’apporte pas de réelles indications sur le nouveau système que compte mettre en place le gouvernement.
Ce que l’on sait du projet à l’heure actuelle
La réforme des retraites est l’un des axes forts du programme du président de la République, qui en dresse régulièrement les grandes lignes. L’idée phare est de faire converger les règles des 36 régimes qui existent aujourd’hui pour aboutir à une règle unique, qu’Emmanuel Macron avait résumée en une phrase : un euro de cotisation doit donner les mêmes droits, quels que soient le secteur d’activité ou le statut des travailleurs. Les régimes spéciaux tels ceux de la SNCF ou des électriciens et des gaziers comme le régime de la fonction publique seront donc amenés à faire converger leurs règles avec celles du régime général.
Lors de son interview sur BFMTV, le 15 avril, Emmanuel Macron a confirmé le calendrier de la réforme. Cette dernière doit déboucher sur une loi dont le vote est prévu en juin 2019. Autre indice fourni par le président de la République au cours de cet entretien, la période de transition entre l’ancien et le nouveau système serait de dix ans. Autrement dit, les personnes à dix ans de leur retraite ne seraient pas impactées par la réforme.
Ces grandes lignes mises à part, aucune information concrète n’a pour l’instant été donnée. Ce nouveau régime sera-t-il sous forme de points, à l’instar des régimes complémentaires, ou sous forme de compte notionnel, à l’image de la réforme suédoise, qui semble inspirer le gouvernement ? Nul ne le sait encore. Et personne n’est capable de dire à ce jour si le nouveau régime modifiera en profondeur la durée de cotisation, l’âge légal de départ ou le montant des pensions : les trois critères incontournables de toute réforme.
Première organisation à avoir été reçue, le 16 avril, la CFDT a insisté sur la nécessité de mieux définir les objectifs de cette réforme, de montrer qu’il est possible d’améliorer le système actuel au bénéfice de l’ensemble des salariés et d’imaginer un système qui réponde aux évolutions de la société et aux aspirations des nouvelles générations. « La CFDT a fait savoir qu’elle s’investirait dans une réforme des retraites dès lors que les objectifs affichés du gouvernement seront clairs et iront dans le sens de davantage de justice sociale, insiste le secrétaire national chargé du dossier, Frédéric Sève. Nous ne voulons pas d’une réforme paramétrique ou technique qui se résumerait à des mesures comptables et n’apporterait rien aux salariés. »
Après cette première rencontre, la CFDT a le sentiment d’avoir été entendue. Le haut-commissariat a laissé entendre que l’objectif de cette réforme ne devrait pas être de faire des économies, mais bien de répartir autrement l’enveloppe actuelle. « Le système, aujourd’hui, n’est pas en péril grâce aux réformes menées ces dernières années, insiste Frédéric Sève. Si nous pensons qu’il est perfectible, nous n’oublions pas non plus qu’il a des atouts et qu’il contient des éléments très importants de solidarité entre les travailleurs. La réforme qui va être menée doit reprendre les objectifs fondamentaux de notre système de retraite, mais pour aller plus loin. »
Des rencontres thématiques pour entrer dans le dur
Si le cadre des discussions a bien été posé pendant ce premier échange, il va falloir très vite entrer dans le dur de la réforme : le nouveau régime sera-t-il en points ou en compte notionnel ? Le gouvernement souhaite-il introduire un volet capitalisation ? Se dirige-t-on vers un régime unique ou gardera-t-on plusieurs régimes mais avec des règles harmonisées ? La liste des thématiques à traiter est longue, et l’exécutif n’a manifestement pas tranché ou souhaite, en tout cas, recueillir l’état d’esprit de l’ensemble des acteurs avant d’avancer ses pions plus en amont. Différentes rencontres thématiques ont ainsi été confirmées. D’ici à l’été, des discussions devraient permettre d’aborder trois grands domaines : le choix du système (par points ou en compte notionnel), les droits non contributifs (chômage, maternité, etc.) et les droits familiaux. À la rentrée de septembre, ces travaux devraient se poursuivre avec d’autres thématiques. « Après des mois de tergiversations, on sent qu’il y a une réelle envie de la part du haut-commissaire d’entrer dans le vif du sujet, analyse Frédéric Sève. Le chantier est bel et bien lancé. »
Ce n’est pas sans une forme de soulagement que les organisations syndicales voient enfin les discussions prendre corps. Le calendrier fixé par le président de la République (lire l’encadré) est en effet serré et il y avait une réelle crainte, ces dernières semaines, de voir la concertation passer à la trappe.